L’analyse existentielle et la logothérapie
L’analyse existentielle et la logothéraphie
Extraits d’un article de Georges-Elia Safarti, paru dans L’aide-mémoire de psychotraumatologie : Viktor Frankl (1905-1997), philosophe et psychiatre, est le représentant de la « troisième école viennoise de psychothérapie », après la psychanalyse de Freud et la psychologie individuelle d’Adler.
La logothérapie, thérapie centrée sur le sens, mise au point par Frankl, est le versant clinique de sa philosophie : l’Existenzanalyse.
Sa conception de l’être humain ne se réduit pas à un corps et à un psychisme (entité psycho-somatique), mais se caractérise par une spiritualité (ce que Frankl appelle aussi la dimension « noétique »). La spiritualité (ou le noétique) au sens où la définit Frankl, se distingue par le fait de régler et de développer sa vie à partir d’un système de valeurs.
La dimension spirituelle du sujet s’atteste par son aptitude à se projeter au-delà de buts immédiats (auto-dépassement), ainsi que par sa capacité à prendre du recul par rapport aux situations dans lesquelles il se trouve, et où il est toujours amené à faire des choix (auto-distanciation). Pour qualifier ce processus d’autodétermination du sujet, Frankl emploie le terme de « noodynamique » (du grec « noos », esprit), qui signifie littéralement : dynamique spirituelle. Ce que Frankl vise par cette qualification, c’est l’idée selon laquelle la motivation première de l’être humain consiste dans l’affirmation d’un principe de sens inconscient.
L’analyse existentielle s’entend comme une analyse non pas de l’existence (ce qui est bien trop abstrait), mais comme une analyse à partir de l’existence. Elle se donne pour finalité explicite, de permettre au sujet de reconnaître le sens de ses aspirations, dans une situation donnée et un contexte précis, en faisant appel à ses propres ressources pour parvenir à leur accomplissement. Pour Frankl, l’être humain est libre et responsable, en vertu de quoi, il est à même d’identifier la quête de sens qui l’anime.
Pour Frankl, le sens n’est pas donné, il se donne : à la fois « direction », « contenu », et « sensibilité ».
Frankl soutient que nous n’inventons pas entièrement les possibilités de donner un sens à notre vie : ces possibilités sont liées à autant de valeurs qui nous préexistent, puisqu’elles font partie de la culture. La part d’initiative de chacun(e) consiste à sélectionner certaines valeurs et à s’orienter dans le monde en fonction de ce choix. C’est pour ces raisons que Frankl insiste sur le fait que les « valeurs sont objectives ».
Selon Frankl, la mise à l’épreuve du principe de sens, avec ses conséquences individuelles, est d’abord un phénomène de société, lié à la crise de la culture, aux mutations générales des temps modernes, qui ont fini par avoir raison des cadres et des liens traditionnels. C’est dans ce contexte de « crise du sens » généralisée, que les sujets sont susceptibles de connaitre l’épreuve du « vide existentiel », ou de la « frustration du principe de sens ».
C’est sur le plan noétique du projet de vie qui confère à chaque sujet ses raisons de vivre que la logothéraphie s’avère d’un aide très précieuse. Mais rappelons d’emblée, avec Frankl, que la logothéraphie constitue une thérapie complémentaire, qui n’entend, en tant que telle, nullement se substituer aux autres méthodes thérapeutiques, mais les enrichir de son point de vue et de ses priorités, sauf dans le cas où les sujets en demande présentent précisément un trouble d’origine noogène, c’est-à-dire une difficulté à vivre consécutive à un sentiment de « vide existentiel ».
Les « trois triades » distinctives de toute existence sont au centre de cette clinique.
- La triade anthropologique tient compte des aptitudes fondamentales de tout existant : la liberté de la volonté (en vertu de laquelle la personne considérée est apte à formuler des choix), la volonté de sens (en vertu de laquelle elle est mue par une ou des motivations noétiques), le sens de la vie (lequel consiste à se déterminer de façon responsable dans une situation donnée, compte tenu des possibilités du sujet).
- La triade existentielle recouvre les constantes d’épreuve que sont la culpabilité, la souffrance et la mort.
- La triade noétique concerne la mise en œuvre de ce que Frankl appelle les « orientations de sens ».
Les orientations de sens désignent trois groupes de valeurs en fonction desquelles une personne est susceptible de réarticuler ou de redéployer un projet de vie. Frankl distingue :
- Les valeurs de création qui consistent à « apporter quelque chose au monde », en faisant œuvre, soit au sens artistique, soit au sens scientifique, soit en terme d’engagement au profit d’une cause, dans l’ordre du beau, du vrai, du bien.
- Les valeurs d’expérience qui se traduisent par le fait « de prendre quelque chose au monde », en qualité d’usager de la culture, de la nature, ou dans le registre de la relation interpersonnelle : en cultivant une relation élective, en favorisant des formes de solidarité, etc.
- Les valeurs d’attitude, qui se traduisent, en face d’une situation qui ne peut pas être changée (obligation à laquelle on ne peut se soustraire, maladie incurable, imminence de la mort) à modifier positivement le rapport que nous entretenons avec cette situation.
C’est dans ce registre de valeur que la confrontation du sujet avec les termes de la « triade tragique » (souffrance, culpabilité, mort) lui permet d’affirmer sa dignité de personne, capable d’actes spirituels (l’épreuve de la souffrance peut toujours revêtir, pour un être humain, une valeur transitive : souffrir, c’est souffrir « au nom de » ou « pour que »).
Selon Frankl, les valeurs d’attitude donnent au sujet la possibilité de « transformer une fatalité en victoire ». Un aspect de la logothéraphie consiste à aider un sujet en souffrance à adopter une attitude positive face à une situation qu’il ne peut changer (deuil, maladie incurable, mort inéluctable). Cette orientation de sens repose sur la « modulation d’attitude » et le « positionnement ». A défaut de ne pouvoir changer une situation, la sagesse nous dicte de changer notre attitude en face de cette situation, afin de nous y adapter au mieux. Chez Frankl, le positionnement vise toujours à extraire un sens de la situation, y compris face au tragique.
Trouver une « raison de vivre » ne veut pas forcément dire que le sujet ne cultive qu’une seule orientation de sens : il peut bien entendu se contenter d’une seule des trois grandes orientations définies par Frankl, de même qu’il peut les combiner au cours d’une même vie, ou bien encore décider d’en changer, ce qui est une manière de « faire peau neuve ».
Le processus logothérapeutique fait appel à la dimension noétique (spirituelle) du sujet, c’est-à-dire à l’importance de son système de valeurs, à son aptitude à se redéployer sur un horizon de sens existentiel, fait de réassurance, de solidarité et de valorisation de soi ; ce qui suppose qu’il fasse appel aussi bien au caractère structurant des valeurs auxquelles il pourrait adhérer, qu’à son aptitude inaliénable à faire des choix constructifs. C’est pourquoi, la logothéraphie n’est pas, au sens strict, une psychothérapie. Mais c’est pour cette même raison, que par sa différence spécifique, elle en constitue un complément indispensable.
Victor Frankl
» Vis comme si tu vivais pour la seconde fois, et que la première fois tu aies tellement tout raté que tu sois en mesure de tout recommencer. »
« Ce dont l’humain a besoin, ce n’est pas de vivre sans tension, mais bien de tendre vers un but valable, de réaliser une mission librement choisie. Il a besoin, non de se libérer de sa tension, mais plutôt de se sentir appelé à accomplir quelque chose. Dans une saine dynamique existentielle, chacun éprouve une tension entre son but à atteindre et sa situation actuelle ».
« En disant que l’homme est responsable de réaliser son but dans la vie, je désire souligner qu’il doit le chercher à l’extérieur plutôt qu’en lui-même ou dans sa psyché, comme si c’était un système fermé. J’ai appelé cette caractéristique de la logothérapie l’ « l’autotranscendance de l’existence humaine». Elle sous-entend que la vie de l’être humain est toujours dirigée vers quelque chose ou quelqu’un d’autre que soi-même, qu’il s’agisse d’un but à atteindre ou d’un être humain à connaître et à aimer. Plus on s’oublie soi-même – en se consacrant à une cause ou à une personne que l’on aime –, plus on est humain, et plus on se réalise. Ce que l’on appelle l’actualisation de soi n’est pas un but à atteindre, pour la simple raison qu’à faire trop d’efforts on risque de ne pas y parvenir. En d’autres mots, l’actualisation de soi n’est possible que comme effet secondaire de la transcendance de soi ».